Principes herméneutiques de l'eschatologie biblique

Hans LaRondelle

Celui qui veut bien comprendre les prophéties bibliques doit accepter cette affirmation : le Christ est au centre des deux Testaments, qui forment eux mêmes une unité. Il importe de définir les principes herméneutiques qui soustendent cette harmonie de la Bible, car des règles d'interprétation correctes sont d'une importance vitale pour aboutir à une exégèse valable de l'Ecriture sainte. Elles nous évitent des exégèses erronées et des erreurs d'interprétation du passé. Notre première tâche consistera donc à rappeler les principes théologiques que les auteurs du N.T. ont appliqués dans leur interprétation et dans leur actualisation de l'A.T. ; à établir les règles d'accomplissement des prophéties de l'A.T. telles qu'elles sont contenues dans le N.T.¹.

Nous acceptons par la foi que l'A.T. et le N.T. ne sont pas seulement des documents historiques, mais aussi des écrits religieux inspirés par l'Esprit de Dieu. Ils constituent sa parole et font autorité. De plus, nous acceptons la confession de foi du N.T. : Jésus de Nazareth est le Messie annoncé par la prophétie. Il est de ce fait l'authentique interprète de l'A.T. Nous faisons ainsi nôtre l'opinion chrétienne traditionnelle selon laquelle le N.T. est l'interprète divinement inspiré et normatif de l'A.T.

Se lancer sans préparation dans une étude des prophéties de la fin, des livre de Daniel, d'Ézéchiel et a fortiori de l'Apocalypse de Jean, serait lrresponsable. Si nous devions considérer les sections apocalyptiques de l'Ecriture saint,par elles-mêmes, les séparant du cadre général prophético-messianique, nous serions alors aisément enclins à faire nôtres ces interprétations littérales de toutes les notations géographiques et ethniques contenues dans la terminologie prophétique. Sur cette voie, quelques interprètes n'hésitent pas à conparer les prophéties bibliques à un « jeu de patience » (Harold Lindsay, The Late Great Planet Earth).

La confusion qui règne actuellement parmi les interprètes des prophéties de la fin est essentiellement due à l'absence de principes d'interprétation clairement définis.

La nécessité de fixer de solides règles herméneutiques est généralement reconnue aujourd'hui. A l'intérieur de l'Eglise adventiste, la Conférence Générale a parrainé en 1974 une série de conférences bibliques sur le thème de l'herméneutique. Voir le livre A Symposium on Biblical Hermeneutics (édité par G. H. Hyde, Review and Herald Publ. Assn., 1974).

L'herméneutique biblique est une discipline scientifique qui tente de mettre en évidence l'unité thématique et structurelle de l'Ecriture. Les principes herméneutiques ne sont valables que s'ils viennent de l'Ecriture elle-même et que s'il existe entre eux un lien organique. Toute saine exégèse, en tant que discipline théologique, doit accepter ces principes herméneutiques qui la protégeront de l'anarchie.

La compréhension chrétienne de l'A.T. dépend de la lecture christocentrique que les auteurs du N.T. ont faite quand ils ont interprété l'A.T. Il est donc essentiel pour le chrétien de découvrir les principes et les méthodes utilisés par le Christ et ses apôtres pour comprendre et expliquer les écrits de Moïse, les Psaumes et les prophètes hébreux. Sinon, il court le risque grave de lire les prophètes de l'A.T. dans une perspective non chrétienne, et par là d'en fausser le sens, en oubliant tout simplement de considérer l'A.T. comme la clé qui ouvre le N.T. L'A.T. n'est plus le dernier mot dans la prophétie de la f in puisque est venu le Messie prophétique, qui est lui-même le dernier mot. Le N.T. a été rédigé comme la norme ultime dans l'interprétation des prophéties d'Israël. Un chrétien renierait sa foi s'il lisait l'A.T. comme une entité close, comme le dernier message de Dieu adressé aux juifs, sans tenir compte ni de la mort de Jésus et de sa résurrection, ni de l'éclairage que le N.T. donne des écrits hébreux.

Les interprétations modernes de la parole prophétique qui excluent le Christ et sa grâce salvifique, qui écartent le peuple de la nouvelle alliance du centre des prophéties finales concernant Israël, manquent incontestablement la cible divine et font briller le flambeau de la fausse prophétie. Le Christ est « l'alpha et l'oméga, le premieret le dernier, le commencement et la fin », (Apoc. 22 : 13) de toute la parole prophétique. Il est l'étoile brillante du matin qui illumine chaque promesse de l'alliance et chaque prophétie de sa présence salutaire. Il est le « rejeton et la postérité de David » (Apoc. 22 : 16). Cela signifie qu'il est à la fois le Seigneur davidique et le fils de David. Il représente YHWH, le Dieu d'Israël, dans tout ce qu'il dit et fait (Jean 12 : 44-50). Le Christ, le Saint-Esprit et Dieu le Père sont intimement unis. Dès lors, toute explication de la parole prophétique d'Israël ne peut être que christocentrique.

Les adventistes du septième jour ont reçu un conseil particulier les enjoignant à fixer leurs regards sur le Christ dans leurs interprétations prophétiques puisqu'il est le centre de l'espérance :

« Laissez parler Daniel et l'Apocalypse et enseignez ce qu'est la vérité. Quelle que soit la partie du sujet qui est traitée, présentez Jésus comme le centre de toute espérance, « le rejeton et la postérité de David, et l'étoile brillante du matin ». (Testimonies to Ministers, p. 118.)

« De tous les chrétiens, les adventistes du septième jour devraient être les premiers à prêcher le Christ au monde. » (Evangéliser, p. 175.)

Interprétation prophétique : principe christologique

L'interprète chrétien est obligé de lire l'A.T. à la lumière du N.T. En effet, l'A.T. est interprété dans le N.T., avec autorité et sous l'inspiration divine, comme l'histoire du salut de Dieu. Historiquement, la chrétienté a toujours confessé que le N.T. est le but et l'accomplissement de l'A.T. Voir la toute récente et dernière déclaration catholique romaine sur la révélation progressive des deux Testaments dans The Documents of Vatican Il édités par W. M. Abbott et J. Callagher (Guild Press, New York, 1966), chapitre 4, section 16 : « Dogmetic Constitution on Divine Révélation ».

G. E. Ladd se fait l'écho de la position de l'Eglise depuis toujours quand il déclare : « Notre point de départ doit être la manière avec laquelle le N.T. interprète l'A.T .- F. F. Bruce est encore plus précis :

« L'usage que fait notre Seigneur de l'A.T. peut très bien servir de norme et de modèle d'interprétation biblique . Les chrétiens peuvent se souvenir encore de l'oeuvre qu'accomplit maintenant pour eux l'Esprit-Saint : c'est la même que celle du Christ pour les disciples sur le chemin d'Emmaüs. »

Le comité d'étude oecuménique, réuni en Angleterre à Oxford en 1949, accepta quelques « principes d'orientation pour l'interprétation de la Bible qui soulignent le caractère christocentrique de cette approche de l'histoire du salut 4.

« Il est reconnu que l'unité de l'A.T. et du N.T. ne réside pas dans quelque développement naturel, ou dans une identité statique. Au contraire, elle réside dans l'activité incessante de Dieu dans l'histoire d'un peuple, qui atteint son accomplissement dans le Christ. De ce fait, il est d'une importance capitale pour l'herméneutique d'interpréter l'A.T. à la lumière de la révélation totale qu'est Jésus-Christ, le verbe de Dieu incarné, duquel jaillit complètement la foi trinitaire de l'Eglise. »

Les prophéties messianiques appartiennent à ce centre vital de l'espérance vétérotestamentaire. Nombre de prophéties apocalyptiques et aussi des prophéties concernant les temps de la fin ont souvent, et de manière explicite, le Christ en leur centre (cf. Dan. 2, 7, 12 ; Apoc. 7,14, 17, 19). Jésus vit la Bible hébraïque dans sa totalité comme une promesse messianique continue. C'est ce qu'il voulait dire en s'adressant aux juifs en ces termes :

« Vous sondez les Ecritures, parce que vous pensez avoir en elles la vie éternelle : ce sont elles qui rendent témoignage de moi. Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie !» (Jean 5 : 39, 40.)

Paul lui aussi ne considéra pas l'A.T. comme une alliance dont Israël était le centre, mais comme une révélation fondamentalement centrée sur le Messie. Il déclara que ses contemporains juifs n'avaient pas correctement compris l'A.T. à cause du « voile » qui obscurcissait leur vue. Leurs interprétations de l'Ecriture sainte deviendraient correctes, à condition qu'ils reconnaissent Jésus comme le point de convergence de la prophétie.

« Mais lorsqu'on se tourne vers le seigneur, le voile est enlevé ... il n'est pas enlevé parce qu'il ne disparaît qu'en Christ. »(2 Cor. 3 : 16, 14).

Pierre, de son côté, découvrit le grand dessein moral de la prophétie bibilque dont Jésus est le centre :

« Et nous tenons pour d'autant plus certaine la parole prophétique à laquelle vous faites bien de prêter attention comme à une lampe qui brille dans un lieu obscur, jusqu'à ce que le jour commence à poindre, et que l'étoile du matin se lève dans vos coeurs. » (2 Pierre 1 : 19.)

Dans le livre de l'Apocalypse, le Christ ressuscité s'identifie lui-même au rejeton de David, à l'étoile brillante du matin (Apoc. 22 : 16).

Nous devons comprendre que les prophéties messianiques ne sont pas des prédictions indépendantes et éparses. Au contraire, elles révèlent toutes ensemble le plan éternel de Dieu, qui est entré dans l'histoire au moment où la première promesse fut faite après la chute, dans le jardin d'Eden : celle d'un rédempteur issu de la descendance de la femme (Gen. 3: 15). Pour réaliser cette promesse originelle, Dieu annonça la venue d'un rédempteur issu d'Abraham (Gen. 12 : 2, 3 ; 22 : 17, 18 ; 28 :13, 14), plus précisément encore de la tribu de Juda (Gen. 49 : 10 ; cf. Nom. 24 : 17), et finalement de la maison de David (2 Sam. 7 : 12-15). Cette révélation progressive du rédempteur à venir visait à la restauration du royaume de Dieu sur la terre (Es. 1 1 ; 2 Pierre 3 :13). On peut distinguer fondamentalement trois catégories de prophéties messianiques dans l'A.T. :

a) Prophéties directes ou rectilignes annonçant la personne d'un Messie ainsi que sa mission (voir par exemple Gen. 49 : 10 ; Nom. 24 :17; Michée 5 : 2 ; Es. 53).

 

b) Prophéties messianiques typologiques, dans lesquelles de multiples types historiques sont des accomplissements partiels qui réaffirment l'accomplissement ultime par le Messie (les prêtres d'Israël ; les prophètes ; les rois). Voir Deut. 18 : 15-19 ; 2 Sam. 7 : 12-16 ; Ps. 110 : 4.

c) Textes historiques non prédictifs qui concernent Israël et que le N.T. considère comme « réalisés » par le Christ (par exemple Jonas 1 : 17 et Osée 6 : 2 utilisés en Mat. 12 :40 et Luc 11 : 29-32). Bien que le récit concernant Jonas soit purement et simplement une description historique de sa propre expérience, Jésus y a vu un signe messianique, un type prophétique de sa propre mort et de sa propre résurrection.

Dans le Psaume 41, le roi d'Israël se lamente car ses ennemis l'entourent et recherchent sa mort en l'accusant faussement (versets 5- 8). Dans son ultime complainte, il déplore même l'abandon de son ami :

« Celui-là même avec qui j'étais en paix, qui avait ma conf lance et qui marigeait mon pain, lève le talon contre moi. » (Ps. 41 : 10.)

Il est possible de voir ici une référence à Ahithophel, le conseiller favori de David (2 Sam. 15 : 12-31.)

Jésus fait explicitement référence à la trahison dont David fut la victime lorsqu'il annonça aux douze : « ... l'un de vous qui mange avec moi me livrera ... le Fils de l'homme s'en va, selon ce qui est écrit de lui » (Marc 14 : 18-21 ; cf. Luc 22 : 22). « Mais il faut que l'Ecriture s'accomplisse : Celui qui mange avec moi le pain, a levé son talon contre moi » (Jean 13: 18; c'est nous qui soulignons ; cf. 17 : 12).

La lamentation du roi David dans le Psaume 41 n'était pas une prophétie messianique à proprement parler. Pourtant, Jésus s'est approprié cette expérience historique de lamentation cultuelle. Il a du même coup élevé en type prophétique, qui a trouvé en lui son accomplissement, cette humiliation dont David fut la victime. Ainsi, Jésus a donné au Psaume 41 : 10 une application plus profonde parce que christologique. Plus encore, le N.T. indique que Jésus lui-même s'est aussi considéré comme le nouvel Israël.

Selon le N.T., Jésus-Christ est tout l'Israël de Dieu ; il porte à son plein accomplissement l'histoire d'Israël dans sa propre vie. Voilà qui est crucial pour la compréhension chrétienne de l'eschatologie d'Israël. Compte tenu du concept de l'A.T. selon lequel le Messie inclut en lui-même tout le peuple de Dieu, les souffrances du Christ, sa mort et sa résurrection signifient bien plus que l'expérience d'un seul homme juste. Tout accomplit le dessein éternel de Dieu à partir d'Israël pour toute l'humanité. Notre intérêt tout particulier se concentre sur le style avec lequel le Christ et les auteurs du N.T. interprètent, comme types des événements vécus par le Messie, quelques expériences historiques de la vie collective d'Israël (l'exode, le baptême, la pérégrination dans le désert). Matthieu insiste souvent sur le fait que certains épisodes dans le passé d'Israël ont été « accomplis » dans la propre vie du Christ. Comment Matthieu pouvaitIl voir que la référence historique faite par Osée à l'exode d'Israël hors d'Egypte (Osée 1 1 : 1) avait trouvé son accomplissement dans la vie d'enfant de Jésus (Mat. 2 :15) ? En tant que Fils de Dieu, le Christ représente Israël dans le sens collectif (Ex. 4 : 22). Il répète dans sa propre vie la mission et l'histoire du salut d'Israël. C'est tout spécialement la tâche de Matthieu d'enseigner que l'histoire d'Israél trouve son accomplissement dans la vie et la mission de Jésus. Christ (pour une étude détaillée de l'interprétation typologique et christologique du N.T., voir LaRondelle, The Israet of God in Prophecy, chapitres 4 et 5).

En résumé, le N.T. se présente comme une approche de l'A.T. tout entière centrée sur le Christ. Elle est thêologiquement plus riche et plus compréhensible que l'herméneutique littérale. Un examen tiré du N.T. de plusieurs exemples d'interprétations des prophéties messianiques de l'A.T. a jeté une nouvelle lumière sur quelques promesses et quelques accomplissements. Ils s'inscrivent dans le cadre général de l'histoire progressive du salut de Dieu. Le Nouveau Testament reconnaît dans l'A.T. quelques prophéties messianiques directes qui ont trouve leur réalisation dans le Christ-Jésus. Plus souvent, pourtant, le N.T. voit beaucoup de prophéties messianiques indirectes, qui ont trouvé un accomplissement antitypique dans le Christ (les prêtres d'Israël, les prophètes et les rois). Enfin, le N.T. a innové en créant une interprétation messianique pour des épisodes historiques non prédictifs dans l'expérience d'Israël. Il établit ici des corrélations typologiques surprenantes à partir de l'A.T. De cette manière, et avec ces approches diversifiées, le N.T. enseigne que les événements qui ont marqué la vie du Christ - sa naissance à Bethléhem, sa mort humiliante, mais aussi sa résurrection et son exaltation à la droite du Père ne sont pas des accidents imprévus. Ils appartiennent au contraire au dessein prévu de Dieu, à son élection en faveur d'Israël (voir Actes 2 : 23-28 ; 4 : 28).

Ainsi, tout l'A.T. peut être considéré comme une seule flèche pointée vers l'accomplissement dans le Christ-Jésus.


Eglise adventiste de Dreux